Lionel Duroy
Julliard, 360 pages
2012
Lionel Duroy revient en Bosnie
vingt ans après la guerre, sur les traces du général en chef des Serbes
de Bosnie Radko Mladic et de ses camarades de combat. Il enquête et
interroge la mémoire des bourreaux. Que reste-t-il de ces années de
violence ?
Ancien journaliste notamment à
Libération, l'auteur a connu cette guerre et en a publié un récit en 1994 ( Il ne m’est rien arrivé, au Mercure de France).
Il revient sur cette terre de souffrance pour approfondir encore le
thème qui traverse son œuvre : le destin des enfants de bourreaux ou la
question de l’héritage quand il se confond avec l’effroyable.
L’hiver
des hommes est un périple dans les montagnes bosniennes où la neige
ensevelit les hommes et leur histoire. Marc, le narrateur, enquête sur
la mort de la fille du général Mladic, Ana, étudiante en médecine qui
s’est suicidée en 1994. Radko Mladic était alors le général en chef des
Serbes de Bosnie dont l’armée menait une guerre de conquête, chassant et
massacrant les voisins d’hier, Croates catholiques et Bosniaques
musulmans.
L’enquête
est le prétexte d’une plongée en Republika Srpska, l’une des deux
entités politico-administratives qui composent actuellement la Bosnie.
C’est là que vivent ceux qui ont connu Mladic, poursuivi aujourd’hui par
la justice internationale pour crime contre l’humanité. C’est là que
vivent ou plutôt survivent les complices, camarades de génocide,
supporters de l’épuration ethnique, partisans nationalistes d’une grande
Serbie.
De Banja Luka, la capitale politique de cette petite
république « grande comme la Bretagne », à Pale, la capitale de guerre,
de Han Pijesak, l’ancien quartier général du « boucher de la Bosnie » à
Kalinovic, son village natal, Lionel Duroy met en scène ses rencontres
avec des hommes et des femmes aux vies recroquevillées, qui pensent et
disent qu’ils ont gagné la guerre, qu’elle était nécessaire, que les
Serbes ont été trahis par l’Occident, qu’ils sont un rempart contre une
supposée invasion musulmane de l’Europe, et que les crimes dont on les
accuse ne sont que les pièces fabriquées d’un vaste complot.
Lionel
Duroy, qui n’est pas loin, comme toujours dans son œuvre, d’être le
narrateur, interroge, sonde, fait parler, cherche à comprendre comment
ces acteurs et survivants d’une grande folie vivent avec les souvenirs
de ce qu’ils ont fait. Il ne les juge pas. Il les dépeint dans le
déni, dans le refus de la réalité, emprisonnés dans leurs délires
paranoïaques. Ceux-là même qui les ont conduits, vingt ans plus tôt à
penser l’Autre d’abord comme une menace, puis un ennemi, avant,
finalement, de le massacrer dans l’ivresse nationaliste.
"Le général non plus ne se sentait pas serbe "à l'origine", je veux dire au temps de la Macédoine et des abeilles. Il n'était qu'un obscur colonel yougoslave, guère préoccupé par son avancement, pas plus militaire que ça au fond de l'âme (après tout, il voulait être médecin), il est évident que si la guerre ne lui était pas tombée dessus à cinquante ans il aurait fini colonel à la retraite dans son village de Kalinovik, dorlotant ses petits-enfants et retournant la terre de son potager. Je suis certain qu'il aurait bien ri, me dis-je, me remettant à aller et venir dans ma chambre, si on lui avait prédit, tandis qu'il était en poste à Skopje avec ses deux enfants, sa jolie Bosa et ses ruches, qu'un jour il se déchaînerait contre les Musulmans et les Croates, allant jusqu'à lancer à ses hommes en avril 1993, lors du premier siège de Srebrenica: "tirez! Donnez dans la viande crue!"" (page 322)
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