Boualem Sansal
Gallimard, 304 pages
2008
Au-delà du thème de la quête d'identité, Le village de l'Allemand est un roman qui déroule une thèse de combat: l'islamisme radical est comparable au nazisme. (...)
La guerre dans la littérature du vingtième siècle (et du vingt-et-unième siècle un peu aussi). Blog littéraire et pas guerrier
"La compagnie K a engagé les hostilités le 12 décembre 1917 à 22h15 à Verdun (France) et a cessé le combat le 11 novembre 1918 au matin près de Bourmont, ayant la nuit précédente traversé la Meuse sous les bombardements ennemis; et ayant participé, au cours de la période susmentionnée, aux opérations décisives suivantes: Aisne, Aisne-Marne, Saint-Mihiel et Meuse-Argonne.
De nombreux hommes ont été cité pour leur bravoure, et les décorations ont effectivement été décernées pour service exemplaire sous le feu: 10 croix de guerre (dont quatre avec palme); 6 Distinguished service cross; 2 médailles militaires et une Medal of honnor, cete dernière ayant été attribuée au soldat Harold Dressern un homme qui a fait preuve d'un courage individuel peu commun. (Caporal Stephen Waller)
Après la fin de la guerre, j'ai repris mon ancien boulot d'employé de la General Hardware Company, et j'y suis toujours. Dans ma ville, les gens me montrent du doigt à ceux qui ne sont pas du coin en leur disant: " ce type est rentré l'uniforme couvert de médailles, vous l'auriez jamais deviné, hein?" Et les gens qui ne sont pas du coin répondent toujours que c'est vrai, jamais ils l'auraient deviné". (Soldat Harold Dresser)
"On nous cloque dans l'arrière-salle. Le menu aujourd'hui c'est du foie de génisse avec de la purée de pommes de terre et puis de la vraie crème renversée. En nous annonçant ces bonnes choses, la patronne, une forte mémère, elle fait des clins d'oeil à Mariette. Je respire que c'est à mon propos. Ça paraît bizarre... j'ai l'impression que les rôles, comme la crème, sont renversés, que Mariette se comporte avec moi comme un monsieur qui sort une petite nana qu'il vient d'emballer. Ces temps où je vous ramène... trente huit piges en arrière,... sont si phallocratiques dans les moeurs, que je me sens tout de même humilié! Devant la purée, le beurre, la tranche de foie, je bois toute ma honte en même temps que le picrate... une bonne bouteille de chinon pour arroser les victuailles. Autour de nous, les quatre ou cinq tables sont occupées par des couples plutôt cossus... les lascars aux costumes bien coupés... pompes triple semelle... les dames rebondies de la croupe... bagousées, emperlousées.. ça m'a l'air de ces fameux profiteurs dont on nous parle à Radio-Paris... Il fait chaud dans ce restaurant, tout est feutré, on se sent presque à l'abri de la guerre". (Mariette)
Henri Alleg (1921-2013) |
"Il y a maintenant plus de trois mois que j'ai été arrêté. J'ai côtoyé, durant ce temps, tant de douleurs et tant d'humiliations que je n'oserais plus parler encore de ces journées et de ces nuits de supplices si je ne savais que cela peut être utile, que faire connaître la vérité c'est aussi une manière d'aider au cessez-le-feu et à la paix. Des nuits entières, durant un mois, j'ai entendu hurler des hommes que l'on torturait, et leurs cris résonnent pour toujours dans ma mémoire. J'ai vu des prisonniers jetés à coup de matraque d'un étage à l'autre et qui, hébétés par la torture et les coups, ne savaient que murmurer en arabe les premières paroles d'une ancienne prière.
Mais, depuis, j'ai encore connu d'autres choses. j'ai appris la "disparition" de mon ami Maurice Audin, arrêté vingt-quatre heures avant moi, torturé par la même équipe qui ensuite me "prit en mains". Disparu comme le Cheick Tebessi, président de l'association des Oulamas, le docteur Cherif Zahar, et tant d'autres". (Pages 12-13)
"En mourant nous emportons avec nous la richesse des amants et des tribus, les saveurs que nous avons goûtées, les corps dans lesquels nous avons plongé et que nous avons remontés à la nage comme s'ils étaient des fleuves de sagesse, les personnages dans lesquels nous avons grimpé comme s'ils étaient des arbres, les peurs dans lesquelles nous nous sommes terrés comme si elles étaient des grottes. Je souhaite que cela soit inscrit dans ma chair lorsque je serai mort. Je crois à ce genre de cartographie - celle dont la nature vous marque, et non celle que nous croyons lire sur une carte comme les noms des riches sur les immeubles. Nous sommes des histoires communes, des livres communs. Nous n'appartenons à personne et nous ne sommes monogames ni dans nos goûts ni dans notre expérience. Je n'avais qu'un désir, marcher sur une terre privée de cartes.
J'emportai Katherine Clifton dans le désert, là où se trouve le livre commun du clair de lune. Dans le murmure des puits. Dans le palais des vents". (Page 280)
Svetlana Alexievitch (Photo Frédéric Stucin) |
Ernest Hemingway (1899-1961) |
« Moi non plus, lui dis-je, je n'ai plus son visage... Souvent je le cherche, j'ai l'impression qu'il vient vers moi, et pus il s'efface, il ne reste plus rien, alors je me tape, je m'engueule...Pourquoi donc, bêta? Ne plus se souvenir du visage de celle qu'on aimait... Je suis un salaud ». Joséphine haussa les épaules:« Les salauds, les saints, j'en ai jamais vu. Rien n'est ni tout noir, ni tout blanc, c'est le gris qui gagne. Les hommes et leurs âmes, c'est pareil... T'es une âme grise, joliment grise, comme nous tous...Des mots tout ça...Qu'est-ce qu'il t'ont fait les mots? » (page 134)
Guernica, Pablo Picasso, 1937. |
"L'abîme infranchissable que certains regards voient creusé entre l'âme occidentale et l'âme orientale n'est peut-être qu'un effet de mirage. Peut-être n'est-il que la représentation conventionnelle d'un lieu commun sans base solide, un jour perfidement travesti en aperçu piquant, dont on ne peut même pas invoquer la qualité de la vérité première pour justifier l'existence? Peut-être la nécessité de "sauver la face" était-elle, dans cette guerre, aussi impérieuse, aussi vitale, pour les Britanniques que pour les Japonais. Peut-être réglait-elle les mouvements des uns, sans qu'ils en eussent conscience, avec autant de rigueur et de fatalité qu'elle commandait ceux des autres, et sans doute ceux de tous les peuples? Peut-être les actes en apparence opposés de deux ennemis n'étaient-ils que des manifestations, différentes mais anodines, d'une même réalité immatérielle? Peut-être l'esprit du colonel nippon Saïto était-il en son essence analogue à celui de son prisonnier, le colonel Nicholson?"
Pierre Boule (1912-1994) |
« Abdallah sortit la tête d'une tranchée de plusieurs mètres de profondeur après avoir grimpé sa paroi en escalier. Il scruta le paysage qui s'étalait devant lui dans le petit matin blafard: un sol gris et troué d'où montaient des effluves de poudre, de sang et de fumée; des tas de cendre et de corps déchiquetés éparpillés sur les flancs des talus de sable, mêlés à des débris d'engins calcinés renversés aux abords des tranchées ou en pleine campagne. L'étendue qu'il parcourait jusqu'à la lisière du fleuve Karkha était vaste et muette. Toute cette mort lui donnait un air de gravité et d'effroi. Les trous des obus avaient même été éventrés une seconde fois. Une odeur de sang et de poudre montait des corps saignés et tranchés sous les bombardements. Les canons aussi étaient tout éclatés; les tubes arrachés gisaient à plusieurs mètres de leur base. Abdallah observait la scène en se demandant si en plus de cela les Iraniens ne s'étaient pas infiltrés dans les tranchées. » Page 169
« On voyait apparaître les maisons et les baraquements de Bishtashân: des cubes d'argile effrités et fumants. Malgré l'âpreté des jours passés, Abdallah était content d'être en vie... S'avançant sur les rochers, il trouva des lambeaux de tissu ensanglantés, une boîte de sardines ballonnée et des cartouchières pleines que les fuyards avaient laissés là. Des tâches de sang et des traces de pas boueuses souillaient la neige ». Page 293.
(© Bruno Barbey/Magnum Photos) |
« Il s'arrêta sur le premier sommet: une série de cônes rocheux avec des crevasses profondes. Il avait déjà les pieds dans la neige. La lueur de l'aube colorait d'autres cimes de légères lignes roses et teintait les nuages blancs d'une poudre d'or qui miroitait contre un ciel d'un bleu de plus en plus intense. La lumière se déversait sur la neige avec un naturel plein de gaieté et les premiers rayons venaient de toucher les pentes de la vallée des Martyrs».
« Les guerres n'eurent pas de fin. Les guerres n'ont jamais de fin, elles s'enfantent les unes les autres, comme les djinns».