Assia Djebar
Actes Sud, 403 pages
1997
Ce long roman écrit au coeur des années 90 et publié en 1997
est un hymne à la femme libre et une dissertation sur l'histoire et les
parcours atypiques des individus à travers les périodes difficiles.
Les nuits de Strasbourg raconte le séjour de Thelja à
Strasbourg. Cette jeune femme algérienne, venue de Paris, laisse un mari dont
elle est séparée et un jeune fils, et vient rejoindre son amant François de
vingt ans son aîné, avec lequel elle va passer neuf nuits dans la capitale
alsacienne. Neuf nuits dans neuf hôtels différents. L'action se passe en 1989. (..)
Thelja en profite pour retrouver Eve, son amie juive
avec qui elle a grandi. Eve attend un enfant d'un Allemand qui vient la
rejoindre le week-end à Strasbourg.
La figure de la femme, indépendante, libre et conquérante
Ce texte présente des femmes aux parcours atypiques. Thelja, Eve, mais aussi Jacqueline, qui monte Antigone à Hautepierre, dans la banlieue ouest de Strasbourg. Des
femmes fortes, maîtresses de leur destin, indépendantes. Des femmes mais pas
les mères. La figure maternelle est absente de ce beau texte, absente ou alors
indigne, qui n'assume pas ou qui ne sait pas faire face. Il en va ainsi de Thelja elle-même ou de Touma.
Assia Djebar a choisi Strasbourg pour planter le décor de son
roman sur l'errance et les destinées mélangées. Strasbourg, "ville des
confluences", au destin partagé, violenté. D'ailleurs, Les nuits de Strasbourg
compte une évocation rare en littérature: l'évacuation de la ville en septembre
1939 devant le risque de l'attaque allemande. Une grande ville comme Strasbourg
vidée totalement de ses habitants, transférés à l'arrière, vers des régions
moins exposées, dans le Sud-Ouest comme la Dordogne.
Strasbourg évacuée en septembre 1939
Le roman s'ouvre d'ailleurs sur cet épisode spectaculaire. L'évacuation est ordonnée dès la mobilisation générale, le 1er septembre 1939. Elle débute le lendemain. la ville est vidée de ses 190000 habitants qui n'ont l'autorisation d'emporter que 30kg de bagages par personne. Ils ne reviendront qu'en juin 1940.
Assia Djebar aborde aussi le siège prussien de 1870,
notamment en évoquant la figure de l'abbesse Herrade de Landsberg, auteur de
l'encyclopédie Hortius Deliciarium (XIIe siècle), la première encyclopédie écrite par une femme et détruite par les obus incendiaires
prussiens. Avec toujours cette figure de la femme, brillante et libre. La guerre d'Algérie est là aussi, comme un non-dit entre l'amante
algérienne, dont le père est mort pendant la guerre et l'amant français, en âge
d'avoir combattu pendant la même guerre d'Algérie.
De nombreuses pages érotiques sur le plaisir féminin
Ce roman compte aussi de nombreuses et belles pages érotiques, l'auteur
s'attachant à décrire les ébats entre Thelja et François. Des ébats où le
plaisir féminin tient une grande place. C'est le roman de la femme émancipée,
libre et conquérante, qui refuse le poids et le carcan des sociétés patriarcales. Ainsi l'héroïne s'adresse-t-elle à Touma, une jeune femme
d'origine algérienne elle aussi, qui regrette que sa fille soit mariée à un Français:
« Ton fils a eu un fils, je crois, le père de Mina. S'il épousait maintenant une Française, tu ne lui en voudrais pas, n'est-ce pas? Peut-être même en serais-tu fière!... N'es-tu pas injuste, toi, une mère: comme au pays, tu veux nous appliquer leur loi sur « nous », les femmes? Tout est permis pour le garçon, tout est tabou pour les filles?... Toi, une femme.! A quoi cela te sert donc d'émigrer, si tu n'élargis pas tes pensées? ».
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