Mathias Enard / Pierre Marquès
Actes sud, 144 pages
2013
A quoi sert un monument aux morts ? Est-ce le passé qui s’adresse au présent ? À moins que cela ne soit l’inverse?
Mathias Enard, qui avait déjà abordé les Balkans dans Zone, revient dans la région et plus particulièrement en Bosnie avec Tout sera oublié. Roman graphique, il s’agit d’une réflexion sur la mémoire et l’oubli, illustrée par Pierre Marquès. (...)
Le narrateur, artiste international, a été chargé de concevoir un monument qui ne soit ni serbe, ni croate, ni bosniaque, pour, dit-il, « cette guerre oubliée plus que terminée ». Il bute et ne trouve pas l’inspiration. Il sillonne la Bosnie, Sarajevo, Mostar, part en Pologne sur les lieux des grandes tragédies concentrationnaires et revient à Sarajevo en passant par Belgrade, la clé des guerres des années 90. Mais il ne trouve pas d’idée pour répondre à la demande.
Il s’interroge. « Qu’est-ce qu’un monument ? C’est un bâtiment en soi inutile. Un musée sans musée. Un genre de croix. Une mosquée sans fidèles, une église sans Dieu. Un symbole. Une présence de ce qui n’est plus ». Ce qui n’est plus. Mathias Enard interroge la mémoire, disserte sur le passé et le présent de la guerre, cet événement hors du commun qui bouleverse tout. Car pour un étranger, se déplacer dans un pays qui fut ravagé par la guerre, même si c’était il y a vingt ans, même si les traces et les cicatrices s’effacent progressivement du paysage, revient forcément à s’interroger sur ce qu’il fut avant la destruction. C’est aussi questionner les vestiges des combats pour tenter de comprendre ce qu’il était pendant la guerre. Les habitants de Bosnie, a fortiori les Sarajéviens, connaissent tout cela et ce qui leur pose question est plutôt l’après leur futur.
Tout sera oublié est un roman dit « graphique » qui s’appuie sur les illustrations de Pierre Marquès. Le peintre, installé à Barcelone comme Mathias Enard, a travaillé sur la base de photographies vidées puis colorisées. Ce qui donne une sensation de souvenir évanescent, à mi-chemin entre la BD et la carte postale du début du XXe siècle, un entre-deux, une métaphore de la mémoire, prompte à reconstruire ou rendre plus flous les contours d’un souvenir, mais sans vraiment s’en éloigner. Les illustrations sont particulièrement mises en valeur par le format original, vertical, des ouvrages publiés aux éditions Actes Sud.
Tout sera oublié est dédicacé au Centre André Malraux de Sarajevo, créé en plein cœur des combats par le Strasbourgeois Francis Bueb, il y a bientôt vingt ans.
J'adore le style de Mathias Enard
RépondreSupprimerEt puis il y a cette mise en abyme dans les illustrations de Marquès. Le peintre fait apparaître sur les murs de Bosnie son travail sur la silhouette, en pochoir, de la kalachnikov. La kalach qui serait plutôt, en Bosnie, un Zastava, mais c'est une autre histoire (yougoslave).
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