Asmara et les causes perdues

Jean-Christophe Rufin
Gallimard, 299 pages
1999



Ce roman de Jean-Christophe Rufin est rare à double titre. D'une part parce qu'il donne à voir le déroulement d'une mission humanitaire de l'intérieur et d'autre part parce qu'il emmène le lecteur en Erythrée et en particulier dans sa très méconnue capitale Asmara.

L'histoire se passe en 1985 quand débarque à Asmara une mission humanitaire française pour combattre la famine provoquée par la guerre civile. Le narrateur, Hilarion Gregorian, un Arménien octogénaire né en Erythrée raconte le récit de la mission, les tiraillements, les hésitations des volontaires. (..)


Son interlocuteur privilégié est un jeune français, Grégoire, arrivé en précurseur et qui prépare l'installation de la mission et la construction d'un camp de réfugiés à quelques dizaines de kilomètres de là, à Rama. L'Erythrée est alors le théâtre d'une très longue guerre d'indépendance menée par une guérilla contre le pouvoir éthiopien.

Les motivations des humanitaires, leurs travers aussi


Jean-Christophe Rufin, médecin engagé dans de nombreuses opérations humanitaires, dont une en Erythrée justement, expose les différentes facettes des motivations de humanitaires, de leurs actions, bienfaits et travers. Gosses paumés sans avenir, idéalistes pétris de bonnes intentions, carriéristes, magouilleurs, on trouve de tout dans le groupe qu'il dépeint. Une mission humanitaire est aussi faite de querelles internes, de relations intimes entre ses membres, de grands débats également sur le sens de l'engagement et de la mission même parfois.
L'état d'Erythrée, indépendant depuis 1993.

Rufin, qui a publié ce roman deux ans avant d'obtenir le prix Goncourt pour Rouge Bresil, met en lumière l'éternel dilemme de l'aide humanitaire et ses relations complexes avec les forces politiques et militaires en action sur le terrain. Une intervention humanitaire est-elle de nature à prolonger le conflit dans lequel elle opère et dont elle censée atténuer les conséquences sur les populations? Peut-on s'engager dans une action humanitaire et rester neutre?

Rester au risque d'être instrumentalisés?


Dans Les causes perdues (c'est le titre original, Asmara a été ajouté plus tard à la demande de l'éditeur), la mission humanitaire est utilisée par le pouvoir pour attirer huit mille réfugiés chassés par les combats et la famine et que le gouvernement veut transférer dans une autre région. Et la question se pose aux différents organisations humanitaires: rester sur place et aider ces réfugiés, au risque d'être instrumentalisés pour une grande campagne de déportation, ou alors dénoncer les pratiques gouvernementales avec pour conséquence d'être expulsé et ainsi abandonner les malheureuses populations à leur sort?
Question éternelle et insoluble: l'aide individuelle et l'action plus globale.

Les causes perdues est aussi une plongée au coeur de la capitale érythréenne, Asmara, située à 2300 mètres d'altitude, profondément marquée par la colonisation italienne. Ce roman donne à voir un bout de l'histoire de cette région, son architecture et ses anciens colons italiens, arrivés du temps de Mussolini et restés là depuis comme échoués, "ensablés".

Jean-Christophe Rufin, né en 1952, élu à l'académie française en 2008, est passé de l'action humanitaire à l'action diplomatique. Il a dirigé de nombreuses missions humanitaires en Afrique et en Amérique pour Médecins sans frontières, a été attaché d'ambassade au Brésil, puis conseiller ministériel avant d'être nommé ambassadeur de France au Sénégal de 2007 à 2010.

Jean-Christophe Rufin au Sénégal. (© LYDIE/SIPA)










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