L'air de la guerre

Jean Hatzfeld

Editions de l'Olivier, 343 pages

1994



L'air de la guerre est un périple à travers l'ex-Yougoslavie en guerre en 1991, 1992 et 1993. Jean Hatzfeld, grand reporter pour le journal français Libération, raconte ses reportages en Croatie d'abord et en Bosnie ensuite. Des reportages en compagnie d'un ou deux confrères, d'un ou d'une interprète, en voiture privée bardée du sigle "PRESS", à travers les campagnes quadrillées par les soldats et les miliciens.

C'était un temps où les journalistes négociaient pour quelques cigarettes le passage des check-points, traversaient des lignes de front parfois sans s'en rendre compte, partageaient de façon impromptue un repas avec des habitants isolés, interviewaient des chefs de milices sanguinaires comme Arkan par exemple, entraient clandestinement dans des villes assiégées et en ressortaient pour filer à l'hôtel écrire et envoyer leur article.
Le récit de Jean Hatzfeld multiplie les aller-retour entre la guerre en Croatie et celle de Bosnie, entre le siège de Vukovar et le siège de Sarajevo, entre les combats en Slavonie et ceux de Bosnie orientale, dans les quartiers de Sarajevo et autour, à IllidzaLukavica, à l'Holliday Inn, au Delegate's en passant par Sniper Alley. Cette structure de narration peut rendre la lecture un peu compliquée pour qui ne connaît pas la géographie de la région. La présence des cartes détaillées en annexe est heureuse et bienvenue.
Jean Hatzfeld décrit plusieurs des moments clés du début de la guerre d'implosion de l'ex-Yougoslavie: la chute de Vukovar, en novembre 1991, son cortège de prisonniers qui disparaîtront quelques heures plus tard dans d'anonymes fosses communes, la visite de François Mitterrand à Sarajevo en juin 1992 et l'espoir criminel qu'elle suscita dans la ville attaquée depuis trois mois. Il émane d'ailleurs de ce texte beaucoup d'empathie pour les peuples de ces régions dévastées.

La lecture de ce livre permet de comprendre et d'observer le travail des journalistes dans cette guerre dangereuse pour eux aussi. Des journalistes qui furent parfois les premiers à découvrir des massacres dans des villages perdus ou des camps de prisonniers clandestins, qui révélèrent au péril de leur vie toute la cruauté de cette guerre menée contre des civils. D'ailleurs, Jean Hatzfeld raconte avec détails et pudeur ce qu'il appelle "l'accident", la rafale de kalachnikov qui faillit l'emporter, à proximité de l'aéroport de Sarajevo.

Parmi les journalistes qui accompagnent et peuplent ce récit, on reconnaît à leurs prénoms entre autres Luc Delahaye, Remy Ourdan ou encore John F. Burn. Des grands noms du reportage de guerre.

"A l'époque, Jean est toujours écrivain et voyageur. Il refuse moins que jamais l'alcool blanc après le repas. Lors de son premier voyage, il avait emporté dans ses bagages d'homme de lettres une énorme sympathie pour les Serbes. Elle n'a cessé de s'étioler au fil de ses pérégrinations, le long de la Sava, en Croatie, puis en Bosnie. Il revient, cette fois, extrêmement révolté à l'encontre de la politique de conquête sanguinaire du pouvoir de Belgrade. Beaucoup d'intellectuels vont connaître un revirement de pensée analogue. Beaucoup de journalistes, principalement anglais et français, vont s'embarquer à l'aller avec des sentiments favorables aux Serbes, hostiles aux Croates, soupçonneux envers les Musulmans, et prendre l'avion de retour avec des opinions contraires. Ces basculements seront parfois si soudains qu'ils susciteront la méfiance de leur entourage à Paris ou à Londres. Dans les premiers mois du conflit bosniaque, on verra ainsi des journaux ou des chaînes de télévision envoyer successivement plusieurs journalistes, qui inévitablement marcheront sur les traces de leurs prédécesseurs." (Page 183, édition Poche)





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